Rando à la Becca di Giasson (3215m) dans le Valgrisenche le 25 novembre.
Une journée toute simple de ski de rando sur une montagne toute simple pour le plaisir tout simple d'être là-haut, seuls, et de faire notre trace. Nous, les guides avons beaucoup de chance, car nous évoluons, au fil des jours, dans des paysages toujours
aussi beaux ; magie de notre métier, magie de notre planète, magie de la nature, car c'est notre bureau permanent.
Cette journée là, j'ai pensé, à cette phrase trouvée sur le blog d'un guide : "quand tu deviens guide, tu arrêtes de grimper...".
Sympa pour les clients ! Sympa aussi pour les guides !
Et aussi, cette autre phrase m'est revenue à l'esprit, je l'avais lue dans un magazine : "l'alpinisme ne s'est pas arrêté avec les trois faces nord de Profit. Il s'est arrêté en 1980. Depuis on est retombé dans le bac à sable..."
Sympa pour les alpinistes des années 80-90, 2000 et après !
Les propos d'Yves Ballu dans son livre "Les Alpinistes" sont malheureusement à l'origine de ces
malentendus. J'ai ressenti une grande injustice quand il a écrit que j'avais "tué l'histoire de l'alpinisme".
Je pense que l’histoire de l’alpinisme est infinie. A chacun de tracer sa voie. La jeune génération d’alpinistes n’est bien sûr pas dans le même contexte qu’il y a 50, 30 ou 20 ans, dans les
Alpes tout a été ouvert, mais qu’importe ! L’essentiel n’est pas là, on peut refaire plusieurs fois la même voie, dans différentes conditions et l’aventure ne sera jamais la même ! Chaque
grimpeur, chaque cordée réinvente l’alpinisme à sa manière, éprouve des émotions, des sensations toutes personnelles, et ce sont toutes ces aventures qui font l’alpinisme, et le feront vivre
encore très longtemps… Tant que les montagnes resteront debout.
Parfois, certaines mises au point s'imposent, et tout en faisant ma trace avec ma cliente, je pense à tout ça, je me dis que l'humilité n'est pas forcément le dénominateur commun de tous les alpinistes. Alors remettre les pendules à l'heure ne fait pas de mal. Je pense que l'engagement que vivent les guides est sans équivalent au niveau de l'alpinisme. Chaque jour, ces derniers s'engagent dans des voies plus ou moins difficiles avec la responsabilité de leur client au bout de la corde. Au fil des saisons, année après année, ils enchaînent les courses, souvent de très belles courses, ils continuent à écrire les plus belles pages de l'alpinisme qui ne se résume pas aux exploits.
Alors, si faire le ratrack dans la face nord de l'Eiger, avec trois bivouacs, et laisser une tranchée pour les suivants, c'est jouer dans le bac à sable, j'y retourne demain. Si faire la face nord de l'Eiger ou la "Desmaison-Gousseault" avec un autre Christophe, ou un autre guide, c'est de "la rando en altitude "(!), avec un client et des conditions si difficiles, c'est une toute autre histoire.
Mes pas s'allongent et mes pensées deviennent excessives, je vais bientôt me calmer au sommet avec un bon thé au miel.
Je garde bien sûr un immense respect pour le haut niveau car ces jeunes réalisent de véritables exploits, s'astreignant à un entraînement sportif rigoureux et quotidien, à l'image de grands sportifs, sprinteurs, nageurs, skieurs, etc., je suis en réelle admiration.
Mais que l'humilité reste en nous tous, très profondément, juste pour se préserver des pièges de la montagne qui, elle, ne se pose pas "trente six" questions.
Voilà le sommet, le sourire revient, un bon casse croûte, on est déjà impatients de faire de belles
courbes dans cette neige de rêve...
Christophe Profit, guide de haute montagne.